14 janvier 2015
Papa, t’es là ? Tu m’entends ?
Si t’es là, fais-moi signe... Envoie-moi un dessin.
Bon, ben, tu m’entends pas, je m’en doutais un peu.
Depuis que t’es mort, je me dis que tu dois enfin savoir si Dieu existe.
Tout le monde t’imagine dans le ciel,
avec des filles à poil, en train de te marrer. Mais, moi, je sais ce que
tu fais. T’as dû demander un stylo pour te dessiner une table, des
feuilles et une lampe. Et puis, maintenant, tu te dessines un double de
maman pour qu’elle soit avec toi, même là-haut. Ah, et puis tu t’es fait
un lit pour ta sieste. C’est sacré, la sieste chez Wolinski.
Tu sais, je dors dans ton lit. J’ai
d’ailleurs dû asperger ta chambre de mon parfum, ça sentait trop toi.
C’est bizarre de me coucher à ta place. Mais je suis bien avec toi, là,
dans tes draps. Maman t’avait offert un pantalon, t’as pas eu le temps
de le mettre. Au fait, papa, j’en profite, est-ce que je peux te piquer
tes pulls en cachemire ?
Papa, le journal ELLE m’a demandé de
t’écrire une lettre, mais j’ai pas le temps. Le téléphone n’arrête pas
de sonner, et je dois m’occuper de maman. Tu sais, elle s’en sort bien.
Elle est très belle, comme à son habitude. Mes sœurs sont là aussi. On
se serre les coudes. Et puis, on a des rendez-vous bizarres au 36, quai
des Orfèvres pour récupérer tes affaires. J’avais l’impression d’être
dans nos fameux polars qu’on aimait tant tous les deux. Et puis, aux
pompes funèbres, pour te choisir une urne et un bout de terrain. On n’y
pense pas, mais c’est plus difficile de choisir une urne qu’une paire de
chaussures Prada. J’aimerais bien garder l’urne avec moi, je te
baladerais dans mon sac, je te mettrais à côté de mon lit.
Papa, je me pose la question. Est-ce que
t’as souffert ? Parce que c’est ça qui m’angoisse, tu sais. J’ai peur
que t’aies eu peur, j’ai peur que t’aies eu mal. Mais ils ne t’ont
touché qu’à la poitrine, alors, les bobos, on les voit pas.
T’es beau, tu sais, avec ce drap blanc qui t’enveloppe. T’as même l’air heureux. J’ose pas trop m’approcher, tu m’en veux pas ?
Je voudrais être capable de t’embrasser
pour la dernière fois, mais j’y arrive pas. J’ai demandé à la dame de
l’Institut médico-légal si on pouvait t’empailler mais elle m’a dit que
c’était pas possible.
Papa, on dirait que tu dors.
Mais tu dors pas, t’es mort.
Pour dehors, Wolinski est vivant.
Mais, pour moi, t’es plus là.
Elsa a perdu son papa.
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