dimanche 18 janvier 2015

Lettre posthume d’Elsa Wolinski à son père

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Wolinski

J’ai peur que t’aies eu peur, j’ai peur que t’aies eu mal.

Lettre posthume d’Elsa Wolinski à son père
Tragiquement disparu lors des attentats contre Charlie Hebdo, le dessinateur de presse Georges Wolinski (28 juin 1934 – 7 janvier 2015) laisse derrière lui une famille et des proches dévastés, comme en témoigne cette lettre bouleversante de sa fille, Elsa, véritable déclaration d’amour et hommage à ce père trop tôt disparu.

14 janvier 2015
Papa, t’es là ? Tu m’entends ?
Si t’es là, fais-moi signe... Envoie-moi un dessin.
Bon, ben, tu m’entends pas, je m’en doutais un peu.
Depuis que t’es mort, je me dis que tu dois enfin savoir si Dieu existe.
Tout le monde t’imagine dans le ciel, avec des filles à poil, en train de te marrer. Mais, moi, je sais ce que tu fais. T’as dû demander un stylo pour te dessiner une table, des feuilles et une lampe. Et puis, maintenant, tu te dessines un double de maman pour qu’elle soit avec toi, même là-haut. Ah, et puis tu t’es fait un lit pour ta sieste. C’est sacré, la sieste chez Wolinski.
Tu sais, je dors dans ton lit. J’ai d’ailleurs dû asperger ta chambre de mon parfum, ça sentait trop toi. C’est bizarre de me coucher à ta place. Mais je suis bien avec toi, là, dans tes draps. Maman t’avait offert un pantalon, t’as pas eu le temps de le mettre. Au fait, papa, j’en profite, est-ce que je peux te piquer tes pulls en cachemire ?
Papa, le journal ELLE m’a demandé de t’écrire une lettre, mais j’ai pas le temps. Le téléphone n’arrête pas de sonner, et je dois m’occuper de maman. Tu sais, elle s’en sort bien. Elle est très belle, comme à son habitude. Mes sœurs sont là aussi. On se serre les coudes. Et puis, on a des rendez-vous bizarres au 36, quai des Orfèvres pour récupérer tes affaires. J’avais l’impression d’être dans nos fameux polars qu’on aimait tant tous les deux. Et puis, aux pompes funèbres, pour te choisir une urne et un bout de terrain. On n’y pense pas, mais c’est plus difficile de choisir une urne qu’une paire de chaussures Prada. J’aimerais bien garder l’urne avec moi, je te baladerais dans mon sac, je te mettrais à côté de mon lit.
Papa, je me pose la question. Est-ce que t’as souffert ? Parce que c’est ça qui m’angoisse, tu sais. J’ai peur que t’aies eu peur, j’ai peur que t’aies eu mal. Mais ils ne t’ont touché qu’à la poitrine, alors, les bobos, on les voit pas.
T’es beau, tu sais, avec ce drap blanc qui t’enveloppe. T’as même l’air heureux. J’ose pas trop m’approcher, tu m’en veux pas ?
Je voudrais être capable de t’embrasser pour la dernière fois, mais j’y arrive pas. J’ai demandé à la dame de l’Institut médico-légal si on pouvait t’empailler mais elle m’a dit que c’était pas possible.
Papa, on dirait que tu dors.
Mais tu dors pas, t’es mort.
Pour dehors, Wolinski est vivant.
Mais, pour moi, t’es plus là.
Elsa a perdu son papa.




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