Orso le vieux berger
Un jour le vieux berger
resté dans les montagnes, ne redescendit pas. Les
cloches des villages alentour sonnèrent à toute volée , dès la nouvelle de sa
disparition. En écho, d’autres cloches plus subtiles relayèrent l’information. Bien trois mois après le départ de son petit fils,il aurait dû rentrer pour rejoindre sa famille au seuil de l’hiver ; il était impossible à
son âge, de survivre là haut seul. A la fin de l’été, les derniers bergers redescendirent
avec toutes les brebis et les chiens ,
dont son troupeau . Il avait juste dit, qu’il les rejoindrait plus tard, personne
ne l’avait contrarié. On ne le revit
plus . Après bien des recherches,des battues avec les chiens, aucune trace, de présence indicible ne permirent de le retrouver. Orso se volatilisa..
Pas de corps, pas de
mort et pas de funérailles.
Ils cherchèrent longtemps. Les saisons passèrent, le soleil brûla
le maquis,l’hiver ravina les gorges profondes.
L’automne d’une beauté d’opéra de Wagner, saupoudra son
humus noir et ses éclats de feuilles dorées et écarlates, aux pieds des hêtres
et des châtaigniers, dans les forêts sombres. La montagne grinça comme
une porte qu’on referme difficilement sur l’inacceptable. Dans la vallée, le
printemps découvrit le drapé des près verdissants, les chants d’oiseaux mélodieux, le
fleurissement des arbres fruitiers. Autour des maisons sur des fils tendus, des draps blancs claquèrent au vent. Des hommes appelèrent encore et encore, sans
jamais se lasser, ils chantèrent puis lancèrent
leurs vociférations au ciel trop bleu d’été, levèrent les poings à la face des nuées. Orso
resta introuvable. Certains survivants des périodes sombres, racontent, qu’il se
serait enfui à dos de sanglier de la mort, par-delà les cauchemars. D’autres
qu’il habiterait l’entre-deux. D'étranges
histoires circulèrent dans les villages. .
Les plus sages murmurèrent
qu’il s’était exilé volontairement dans
cet entre-monde, afin que la malédiction ne réveille plus les enfants aux
portes du rêve.
Pour qu’enfin tout cela
cesse. La nuit du 2 décembre, son fantôme hanterait le mausolée familial dans le cimetière du village.
Ses amis les plus chers
sculptèrent sa silhouette en bois de hêtre, reconnaissable avec son chapeau à large bord et son bâton sculpté, au bord du chemin qui mène à la bergerie du lac de Nino.
Des tempêtes accompagnées
de pluies diluviennes s’abattirent sur les sommets.la neige épaisse calfeutra
les abris, pourrissant le bois tendre à défaut de le patiner . Le soleil brûlant fendilla ce qui restait. Aujourd’hui
ne subsiste que le socle avec son prénom gravé dans la pierre : Orso.. Le granit ne se désagrège pas pour si peu, il prend son temps pour effacer les blessures,
tout son temps !
Quelques fleurs, emmêlées
aux tiges noircies et séchées des asphodèles, accompagnées de pierres furent
déposées en cairn. Avec tous ces cadeaux offerts
par des mains aimantes et des cœurs généreux,
un autel se dressa, pour ne plus
se perdre, ne jamais oublier. Seul le
vent lorsqu'il s’éloigne nous révèle le silence.
Et dans cette absence
de fureur humaine se dessinèrent de nombreuses présences de plus en plus
subtiles.