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Le mythe de l'Inconnue de la Seine, par
Hélène Pinet |
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Le masque de L'Inconnue
de la Seine a acquis au fil des ans une dimension mythique
et esthétique qui l'a transformé en objet de
décoration et de fantasmes. Les quelques lignes laconiques
qui résument son histoire pourraient sortir d'une rubrique
de fait divers : un médecin légiste avait trouvé
si beau et si énigmatique le visage d'une jeune fille
repêchée dans la Seine qu'il avait demandé
à un praticien d'en prendre l'empreinte ; rien n'empêchant
le mouleur de la commercialiser, il la vendit dans sa boutique.
C'est là que Rilke va la découvrir en 1902,
lors de son premier séjour parisien : "Le Mouleur
devant la boutique duquel je passe tous les jours a accroché
deux masques devant sa porte. Le visage de la jeune femme
noyée que l'on moula à la morgue, parce qu'il
était beau et parce qu'il souriait, parce qu'il souriait
de façon si trompeuse, comme s'il savait. " Seul
visage anonyme vendu au milieu d'hommes célèbres
et de reproductions d'œuvres d'art, "entre L'Enfant
à l'épine et le Beethoven mort ",
l'aspect irrationnel et mystérieux du masque a assuré
son succès commercial. Il ornait, paraît-il,
un grand nombre d'intérieurs bourgeois du début
du siècle. |
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Du masque au mythe
La recherche d'une date plus précise nous a entraîné
dans de longues pérégrinations littéraires
plus que géographiques. Si l'on se fie uniquement
à sa coiffure en bandeaux à la mode sous le
Second Empire, on pourrait le dater des années 1860,
toutefois, il est mentionné pour la première
fois dans un roman anglais écrit en 1898.
L'auteur, Richard Le Gallienne, dont le masque ornait l'un
des murs de son bureau, publie en 1900, L'Adorateur
d'image, intéressant par l'intrigue et surtout
par le rôle que joue le masque qui exerce son emprise
sur l'esprit fragile d'un poète. Si l'ouvrage n'a
pas un grand intérêt littéraire, il
a le mérite de nous donner une date butoir de la
fabrication du moulage, qui sans être définitive
n'en est pas moins plausible. À la fin du XIXe
siècle, la morgue, installée à la pointe
de l'île de la Cité, derrière Notre-Dame,
était l'un des spectacles les plus prisés
des Parisiens mais aussi des étrangers : chaque jour
livrait son lot de cadavres à identifier, et un public
de tout âge - même les enfants étaient
admis - venait détailler les corps étendus
sur les dalles de pierre inclinées derrière
une vitre. Chaque semaine, des suicidés, surtout
des femmes, étaient retirés de la Seine. Dans
son étude sur l'eau et les rêves, Bachelard
a analysé l'interprétation poétique
de ce fait de société : "L'image synthétique
de l'eau, de la femme et de la mort ne peut pas se disperser,
affirme-t-il, un mot des eaux, un seul, suffit pour désigner
l'image profonde d'Ophélie. Les yeux clos et les
lèvres qui ont "l'air de sourire et de souffrir"
du Masque de la noyée n'auraient pu suffire
à lui assurer le succès auprès d'un
large public, et c'est par son histoire qui l'associe à
Ophélie aussi bien qu'à Ondine, que ce simple
objet de plâtre se trouve transformé en matériau
de légende.
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On dit aussi qu'il était
utilisé par les artistes au même titre que les
études en plâtre qu'ils allaient acheter chez
le mouleur et qui leur servaient encore à l'occasion.
Pour séduisante qu'elle soit, cette hypothèse
n'a pas résisté à une étude plus
attentive. Ce visage, que l'on aurait peine à comparer
aux têtes d'expression dont la copie était à
la base de leur formation, semble avoir laissé indifférents
les peintres et les sculpteurs. Le seul exemple que nous ayons
trouvé, un modèle en déshabillé
de dentelles posant dans un décor où seul le
paravent, quelques pinceaux et Le Masque évoquent
un atelier, reste peu convaincant . Et il est fort probable
qu'Eugène Déplechin, qui a utilisé, vers
1900, le moulage pour représenter une figure de mère
éplorée, l'a fait pour honorer au plus vite
la commande du Monument à Alexandre Desrousseaux.
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Ernst
Benkard et les masques mortuaires
Il faut attendre 1926 pour que le récit du moulage
soit publié dans un ouvrage de référence.
En effet, dans son étude sur les masques mortuaires,
Ernst Benkard fait l'historique de 123 masques, tous reproduits
photographiquement. Il ne dit rien de plus que nous ne sachions
déjà, mais le texte concernant "le moulage
de l'Inconnue" a une tournure poétique qui détone
par rapport au style purement informatif de l'ensemble, comme
si l'auteur avait voulu donner un statut particulier à
ce à masque surgi de nulle part. Le sujet reflète
l'atmosphère délétère de l'entre-deux
guerres et l'ouvrage connaît un succès considérable
puisqu'on dénombre au moins dix-neuf éditions.
Si le secret du sourire et de l'identité dérobée
du masque avaient suffi à retenir l'attention d'un
public populaire, pour la première fois, à notre
connaissance, l'objet et son histoire sont un confondus sous
le titre de L'Inconnue de la Seine. Cette appellation
connaît un tel engouement que l'on est en droit de se
demander si ce n'est pas elle, plus que le visage absorbé
en lui-même, qui a séduit le milieu littéraire.
Quoi qu'il en soit, à partir de cette date, elle devient
le titre même de nombreux écrits. |
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"Ce n'est pas une femme, c'est l'absence"
L'Inconnue de la Seine s'est imposée au fur
et à mesure de nos recherches comme un phénomène
essentiellement littéraire et photographique où
l'on "passe du secret de la noyée à celui
de la vivante". La vie de cette femme sans passé
et sans regard va être inventée, construite et
enjolivée par nombre d'auteurs dont les publications
se succèdent comme en cascade. Nouvelle, poème,
pièce de théâtre, roman s'emparent du
mythe et complètent le portrait de la noyée
"en vertu de la loi inévitable qui veut qu'on
ne peut imaginer que ce qui est absent". Nous allons
découvrir son âge, son nom, son surnom, sa vie,
ses déconvenues amoureuses, le lieu de sa mort et même
sa vie après la mort. Ainsi, de publication en publication,
la jeune fille acquiert une réalité purement
fictive, au détriment du masque qui ne joue plus qu'un
rôle secondaire. C'est donc à travers les livres
que nous suivrons son histoire imaginaire et à partir
des études critiques de ces mêmes textes que
nous tenterons de reconstituer l'histoire du masque. |
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un visage. Une légende apparue il y a 150 ans.
Vers 1880, la
morgue est installée sur l'Île de la Cité, à Paris. Elle est l'un des
spectacles les plus courus par les Parisiens. Un public de tout âge y
défile, enfants compris.
L'énigme...
Un jour on repêche
une jeune femme dans le Canal de l'Ourq. L'adolescente subjugue tous les
témoins par sa beauté et surtout par le sourire étrange, énigmatique,
qui s'est figé sur ses lèvres au moment du trépas.
La belle
endormie intrigue. On cherche à savoir qui elle est. Les journaux
évoquent la jeune femme, mais personne ne vient la réclamer. On la
surnomme rapidemen
t "L'inconnue de la Seine".
Le succès commercial du moulage
On réalise
un masque mortuaire de la belle endormie: un masque en plâtre, comme il s'en faisait beaucoup à l'époque.
Un culte fou se développe autour de l'objet. C'est un
véritable succès commercial à la fin du 19ème siècle. On retrouve
bientôt l'inconnue de la Seine dans les intérieurs bourgeois et les
chambres de jeunes filles.
Le mythe, de Rilke à "Sauvez Anne"
En 1902, Rilke observe le masque à Paris. Jules Supervielle lui dédie ensuite un
conte.
Les surréalistes eux, s'amourachent littéralement de l'inconnue.
Le lien du jour retrace la légende de la belle endormie.
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