Le petit poucet
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La morte amoureuse de Théophile Gauthier
Cette photo quelque peu étrange illustre bien le monde du conte merveilleux..
Un de mes contes préféré.
La mère des
contes
[texte intégral]
Il était pour la première
fois, dans la grande forêt des premiers temps, un rude bûcheron et son épouse
triste. Ils vivaient pauvrement dans une maison basse, au cœur d'une clairière.
Ils n'avaient pour voisins que des bêtes sauvages et ne voyaient passer,
dehors, par la lucarne, que vents, pluies et soleils. Mais ce n'était pas la
monotonie des jours qui attristait la femme de cet homme des bois et la faisait
pleurer, seule, dans sa cuisine. De cela elle se serait accommodée, bon an, mal
an. Hélas, en vérité, son mari avait l'âme aussi broussailleuse que la barbe et
la tignasse. C'était cela qui la tourneboulait. Caressant, il l'était comme un
buisson d'épines, et quand il embrassait en grognant sa compagne, ce n'était
qu'après l'avoir battue. Tous les soirs il faisait ainsi, dès son retour de la
forêt. Il poussait la porte d'un coup d'épaule, empoignait un lourd bâton de
chêne, retroussait sa manche droite, s'approchait de sa femme qui tremblait
dans un coin, et la rossait. C'était là sa façon de lui dire bonsoir.
Passèrent mille jours, mille
nuits, mille roustes. L'épouse supporta sans un mot de révolte les coups qui
lui pleuvaient chaque soir sur le dos. Vint une aube d'été sur la clairière. Ce
matin-là, comme elle regardait son homme s'éloigner sous les grands arbres, sa
hache en bandoulière, elle posa les mains sur ses hanches et pour la première
fois depuis le jour de ses épousailles elle sourit. Elle venait à l'instant de
sentir une vie nouvelle bouger là, dans son ventre. "Un enfant !"
pensa-t-elle, tremblante, émerveillée. Mais son bonheur fut bref, car lui vint
aussitôt plus d'épouvante qu'elle n'en avait jamais enduré. "Misère, se
dit-elle, qui le protégera si mon mari me bat encore ? En me cognant dessus, il
risque de l'atteindre. Il le tuera peut-être avant qu'il ne soit né. Comment
sauver sa vie ? En n'étant plus battue. Mais comment, Seigneur, ne plus être
battue ?" Elle réfléchit à cela
tout au long du jour avec tant de souci, de force et d'amour neuf pour son fils
à venir qu'au soir elle sentit germer une lumière.
Elle
guetta son homme. Au crépuscule il s'en revint, comme à son habitude. Il prit
son gros bâton, grogna, leva son bras noueux. Alors elle lui dit :
– Attends, mon maître,
attends ! J'ai appris aujourd'hui une histoire. Elle est belle. Écoute-la
d'abord, tu me battras après.
Elle ne savait rien de ce
qu'elle allait dire, mais un conte lui vint. Ce fut comme une source innocente
et rieuse. Et l'homme demeura devant elle captif, si pantois et content qu'il
oublia d'abattre son bâton sur le dos de sa femme. Toute la nuit elle parla.
Toute la nuit il l'écouta, les yeux écarquillés, sans remuer d'un poil. Et
quand le jour nouveau éclaira la lucarne, elle se tut enfin. Alors il poussa un
soupir, vit l'aube, prit sa hache et s'en fut au travail.
Au
soir gris, il revint. Elle l'entendit pousser la porte à grand fracas. Elle
courut à lui.
–
Attends, mon maître, attends ! Il faut que je te dise une nouvelle histoire.
Écoute-la d'abord, tu me battras après !
|
Et
quand le soir tomba vint encore une histoire. Neuf mois, toutes les nuits,
cette femme conta pour protéger la vie qu'elle portait dans le ventre. Et quand
l'enfant fut né, l'homme connut l'amour. Et quand l'amour fut né, les contes
des neuf mois envahirent la terre. Bénie soit cette mère qui les a mis au
monde. Sans elle les bâtons auraient seuls la parole.
Henri Gougaud,
L'arbre d'amour et de sagesse, 1992.
La clef des contes de Christophe Carlier
Quels moments littéraires pour les fées ?
Cet ouvrage est en fait une étude centrée autour des contes de fées et du conte fantastique. Il s’agit de réfléchir sur leurs caractéristiques propres. Pour les contes de fées le succès auprès de lectorat adulte couve près d’un siècle, il débute en 1690 mais couvre deux périodes différentes.
Le premier conte de fées "L’île de la félicité" est dons écrit à la fin du XVIIe siècle ; Mme d’Aulnoy l’a inséré dans son roman "Histoire d’Hypolite, comte de Daglas". Ce premier temps d’engouement n’atteint pas une durée de quinze ans puisqu’il se clôt avec la parution en 1704 des "Mille et une nuits", c’est donc la fantaisie orientale qui a pris le relais.
En 1730 une seconde phase d’intérêt se manifeste et il est définitivement clos lorsque le Nouvel Abeilard de Restif de la Bretonne est publié en 1704. Pour la première période, on a essentiellement une adaptation littéraire de contes oraux et pour le second moment une large place à l’invention, l’ironie et la parodie.
Le romantisme allemand, avec la mise en valeur d’un large corpus de contes par les frères Grimm, permet de mettre en exergue quelques récits comme "Cendrillon" et "Peau d’âne" qui traditionnellement relevaient du conte de fées. Toutefois nos deux auteurs allemands donnent des versions où ils expurgent la dimension féérique. Le conte fantastique fait appel au surnaturel mais les fées en sont également absentes. En matière de conte fantastique, on pense pour le XIXe siècle aux contes d’Hoffmann, à "La morte amoureuse" de Théophile Gautier", "La Vénus d’Ille", "Rêve d’enfer" de Flaubert ou à l’œuvre d’Edgar Poe.
De nombreuses observations intéressantes permettent au lecteur de relever par exemple qu’au début de l’engouement des contes il est fait le choix de quelques mots d’une langue déjà archaïque. Par ailleurs les formulettes orales de clôtures d’un conte se retrouvent parfois dans certains textes littéraires comme :
"Mon conte est fini, si vous trouvez un âne, montez-y"
ou "Puis le coq chanta, et mon conte finit là".
Pour connaître les formes littéraires que prenaient les contes aux périodes médiévales, avec en particulier des allusions à des personnages historiques (qui faisaient que la division entre légende et conte ne peut être pertinente alors) on lira l’ouvrage "Contes, diableries et autres merveilles du Moyen Âge" de Claude et Corinne Lecouteux qui présente une très belle collection de textes adaptés dans la langue en usage au début du XXIe siècle, et présenté dans leur intégralité.
LE JOUEUR DE FLUTE DE HAMELIN
L'une de ces nombreuses versions...
Il était une fois, il y a bien longtemps, une ville d'Allemagne du nom de Hamelin [...] Ses habitants avaient tout pour y vivre heureux et la joie et la paix régnaient dans la cité.
Un jour cependant, ou plutôt une nuit, une drôle de chose se produisit. Des rats, venus d'on ne sait où, envahirent la ville : il y en avait des centaines, des milliers, des millions peut-être. Et lorsqu'au matin les habitants de Hamelin se réveillèrent, ils durent se rendre à l'évidence : les rats s'étaient infiltrés partout [...] En peu de temps, toute la ville fut infestée.
Le bourgmestre rassembla les notables et ils envisagèrent les moyens de se débarrasser de cette terrible engeance. Ils firent venir des chats, qui se lancèrent à la poursuite des rongeurs. Ils disposèrent des pièges et des souricières. Ils semaient de la mort-aux-rats et des grains empoisonnés. Peine perdue, rien n'y fit. Le fléau persistait, et les rats se multipliaient.
Un beau jour, un troubadour passa la porte de la ville. Il était maigre, tout de vert vêtu et il portait une besaces en bandoulière. Il se présenta à l'hôtel de ville où il demanda à parler au bourgmestre. Celui-ci le regarda d'abord d'un air soupçonneux. Mais lorsque le jeune homme lui annonça qu'il pouvait, à lui seul, débarrasser la ville de tous les rats, il le considéra d'un tout autre œil.
- Comment, vous pourriez faire cela ? Et tout seul ?
- Parfaitement. Mais pour ce travail, je veux recevoir mille écus d'or.
- Si vous réussissez, c’est un million qu'il faudra vous donner ! s'exclama le bourgmestre.
- Mille écus suffiront, dit l'étranger. Faites-les préparer. Je passerai les prendre dès que les rats auront quitté la ville. Et il redescendit l'escalier, sous les yeux du bourgmestre médusé.
Puis il se dirigea vers la grande place, sortit une petite flûte de bois noir de sa gibecière, la porta à ses lèvres et commença à jouer... Il en tirait tout en marchant une musique étrange, envoûtante et d'une grande tristesse. A peine avait-il émis quelques sons, que l'on vit arriver, de tous les coins et recoins de la ville, des centaines de rats qui se mirent à trotter derrière le joueur de flûte. [...]
Le joueur de flûte parcourut ainsi toute la ville. Il passa par toutes les rues, ruelles, impasses, en n'oubliant aucun passage. Enfin, lorsque tous les rats furent rassemblés en un cortège sans fin derrière lui, il prit le chemin de la rivière. Sur le rivage, il s'arrêta, mais il continua à jouer de son instrument, et les rats se précipitèrent dans l'eau. Ils se noyèrent tous jusqu'au dernier. Il n'y avait plus aucun rat dans la ville de Hamelin.
Alors le mystérieux musicien retourna à l'hôtel de ville pour recevoir ses pièces d'or.
Mais là, un drôle d'accueil l'attendait.
-Comment ? Mille pièces d'or ! Pour une petite musique ? s'exclama le bourgmestre. Mais tu es fou, ma parole ! Je peux te donner tout au plus cent écus, et encore, estime-toi heureux!
- Ce n'est pas ce qui était convenu entre nous, dit le joueur de flûte d'une voix calme. Vous m'aviez promis mille écus ...
- Eh bien, écoute, tu en auras cent. Et c'est bien assez... Maintenant, va-t'en!
- Puisque c'est ainsi, je ne veux rien, mais vous allez le regretter...
Il tourna les talons et quitta l'hôtel de ville. Une fois dans la rue, il prit sa flûte et commença à jouer un air joyeux.
Et cette fois, ce fut tous les enfants de la ville de Hamelin qui le suivirent par les rues et les ruelles. Les petits, les grands, les moins grands... Il en venait de toutes parts, qui se joignaient au cortège, et rien, ni personne ne put retenir un seul enfant.
Alors le joueur de flûte quitta la ville et tous les enfants le suivirent.
Cet ouvrage est en fait une étude centrée autour des contes de fées et du conte fantastique. Il s’agit de réfléchir sur leurs caractéristiques propres. Pour les contes de fées le succès auprès de lectorat adulte couve près d’un siècle, il débute en 1690 mais couvre deux périodes différentes.
Le premier conte de fées "L’île de la félicité" est dons écrit à la fin du XVIIe siècle ; Mme d’Aulnoy l’a inséré dans son roman "Histoire d’Hypolite, comte de Daglas". Ce premier temps d’engouement n’atteint pas une durée de quinze ans puisqu’il se clôt avec la parution en 1704 des "Mille et une nuits", c’est donc la fantaisie orientale qui a pris le relais.
En 1730 une seconde phase d’intérêt se manifeste et il est définitivement clos lorsque le Nouvel Abeilard de Restif de la Bretonne est publié en 1704. Pour la première période, on a essentiellement une adaptation littéraire de contes oraux et pour le second moment une large place à l’invention, l’ironie et la parodie.
Le romantisme allemand, avec la mise en valeur d’un large corpus de contes par les frères Grimm, permet de mettre en exergue quelques récits comme "Cendrillon" et "Peau d’âne" qui traditionnellement relevaient du conte de fées. Toutefois nos deux auteurs allemands donnent des versions où ils expurgent la dimension féérique. Le conte fantastique fait appel au surnaturel mais les fées en sont également absentes. En matière de conte fantastique, on pense pour le XIXe siècle aux contes d’Hoffmann, à "La morte amoureuse" de Théophile Gautier", "La Vénus d’Ille", "Rêve d’enfer" de Flaubert ou à l’œuvre d’Edgar Poe.
De nombreuses observations intéressantes permettent au lecteur de relever par exemple qu’au début de l’engouement des contes il est fait le choix de quelques mots d’une langue déjà archaïque. Par ailleurs les formulettes orales de clôtures d’un conte se retrouvent parfois dans certains textes littéraires comme :
"Mon conte est fini, si vous trouvez un âne, montez-y"
ou "Puis le coq chanta, et mon conte finit là".
Pour connaître les formes littéraires que prenaient les contes aux périodes médiévales, avec en particulier des allusions à des personnages historiques (qui faisaient que la division entre légende et conte ne peut être pertinente alors) on lira l’ouvrage "Contes, diableries et autres merveilles du Moyen Âge" de Claude et Corinne Lecouteux qui présente une très belle collection de textes adaptés dans la langue en usage au début du XXIe siècle, et présenté dans leur intégralité.
LE JOUEUR DE FLUTE DE HAMELIN
L'une de ces nombreuses versions...
Il était une fois, il y a bien longtemps, une ville d'Allemagne du nom de Hamelin [...] Ses habitants avaient tout pour y vivre heureux et la joie et la paix régnaient dans la cité.
Un jour cependant, ou plutôt une nuit, une drôle de chose se produisit. Des rats, venus d'on ne sait où, envahirent la ville : il y en avait des centaines, des milliers, des millions peut-être. Et lorsqu'au matin les habitants de Hamelin se réveillèrent, ils durent se rendre à l'évidence : les rats s'étaient infiltrés partout [...] En peu de temps, toute la ville fut infestée.
Le bourgmestre rassembla les notables et ils envisagèrent les moyens de se débarrasser de cette terrible engeance. Ils firent venir des chats, qui se lancèrent à la poursuite des rongeurs. Ils disposèrent des pièges et des souricières. Ils semaient de la mort-aux-rats et des grains empoisonnés. Peine perdue, rien n'y fit. Le fléau persistait, et les rats se multipliaient.
Un beau jour, un troubadour passa la porte de la ville. Il était maigre, tout de vert vêtu et il portait une besaces en bandoulière. Il se présenta à l'hôtel de ville où il demanda à parler au bourgmestre. Celui-ci le regarda d'abord d'un air soupçonneux. Mais lorsque le jeune homme lui annonça qu'il pouvait, à lui seul, débarrasser la ville de tous les rats, il le considéra d'un tout autre œil.
- Comment, vous pourriez faire cela ? Et tout seul ?
- Parfaitement. Mais pour ce travail, je veux recevoir mille écus d'or.
- Si vous réussissez, c’est un million qu'il faudra vous donner ! s'exclama le bourgmestre.
- Mille écus suffiront, dit l'étranger. Faites-les préparer. Je passerai les prendre dès que les rats auront quitté la ville. Et il redescendit l'escalier, sous les yeux du bourgmestre médusé.
Puis il se dirigea vers la grande place, sortit une petite flûte de bois noir de sa gibecière, la porta à ses lèvres et commença à jouer... Il en tirait tout en marchant une musique étrange, envoûtante et d'une grande tristesse. A peine avait-il émis quelques sons, que l'on vit arriver, de tous les coins et recoins de la ville, des centaines de rats qui se mirent à trotter derrière le joueur de flûte. [...]
Le joueur de flûte parcourut ainsi toute la ville. Il passa par toutes les rues, ruelles, impasses, en n'oubliant aucun passage. Enfin, lorsque tous les rats furent rassemblés en un cortège sans fin derrière lui, il prit le chemin de la rivière. Sur le rivage, il s'arrêta, mais il continua à jouer de son instrument, et les rats se précipitèrent dans l'eau. Ils se noyèrent tous jusqu'au dernier. Il n'y avait plus aucun rat dans la ville de Hamelin.
Alors le mystérieux musicien retourna à l'hôtel de ville pour recevoir ses pièces d'or.
Mais là, un drôle d'accueil l'attendait.
-Comment ? Mille pièces d'or ! Pour une petite musique ? s'exclama le bourgmestre. Mais tu es fou, ma parole ! Je peux te donner tout au plus cent écus, et encore, estime-toi heureux!
- Ce n'est pas ce qui était convenu entre nous, dit le joueur de flûte d'une voix calme. Vous m'aviez promis mille écus ...
- Eh bien, écoute, tu en auras cent. Et c'est bien assez... Maintenant, va-t'en!
- Puisque c'est ainsi, je ne veux rien, mais vous allez le regretter...
Il tourna les talons et quitta l'hôtel de ville. Une fois dans la rue, il prit sa flûte et commença à jouer un air joyeux.
Et cette fois, ce fut tous les enfants de la ville de Hamelin qui le suivirent par les rues et les ruelles. Les petits, les grands, les moins grands... Il en venait de toutes parts, qui se joignaient au cortège, et rien, ni personne ne put retenir un seul enfant.
Alors le joueur de flûte quitta la ville et tous les enfants le suivirent.
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