jeudi 14 mars 2024

                                          

                                       


                                 
    Orso le vieux berger 

Un jour le vieux berger resté dans les montagnes, ne redescendit pas. Les cloches des villages alentour sonnèrent à toute volée , dès la nouvelle de sa disparition. En écho, d’autres cloches plus subtiles relayèrent l’information. Bien  trois mois après le  départ de son petit fils,il aurait dû rentrer pour rejoindre sa famille au seuil de l’hiver ; il était impossible à son âge, de survivre là haut seul. A la fin de l’été, les derniers bergers redescendirent  avec toutes les brebis et les chiens , dont son troupeau . Il avait juste dit, qu’il les rejoindrait  plus tard, personne ne l’avait contrarié. On ne le revit plus . Après bien des recherches,des battues avec les chiens, aucune trace, de présence indicible  ne permirent de  le retrouver. Orso se volatilisa..

Pas de corps, pas de mort et  pas de funérailles.

Ils cherchèrent longtemps. Les saisons passèrent, le soleil brûla  le maquis,l’hiver ravina les gorges profondes. L’automne d’une beauté d’opéra de Wagner, saupoudra son humus noir et ses éclats de feuilles dorées et écarlates, aux pieds des hêtres et des châtaigniers, dans les forêts sombres. La montagne grinça comme une porte qu’on referme difficilement sur l’inacceptable. Dans la vallée, le printemps  découvrit  le drapé des près verdissants, les chants d’oiseaux mélodieux, le fleurissement des arbres fruitiers. Autour des maisons sur des fils tendus, des draps blancs claquèrent au vent. Des hommes appelèrent encore et encore, sans jamais se lasser, ils chantèrent  puis lancèrent leurs  vociférations  au ciel trop bleu d’été, levèrent les poings à la face des nuées. Orso resta introuvable. Certains survivants des périodes sombres, racontent, qu’il se serait enfui à dos de sanglier de la mort, par-delà les cauchemars. D’autres qu’il habiterait  l’entre-deux. D'étranges histoires circulèrent dans les villages. .

Les plus sages murmurèrent qu’il s’était exilé volontairement dans cet entre-monde, afin que la malédiction ne réveille plus les enfants aux portes du rêve.

Pour qu’enfin tout cela cesse. La nuit du 2 décembre, son fantôme hanterait le mausolée familial  dans le cimetière du village.

Ses amis les plus chers sculptèrent sa silhouette en bois de hêtre, reconnaissable avec son chapeau à large bord  et son bâton sculpté, au bord du  chemin qui mène à la  bergerie du lac de Nino.

Des tempêtes accompagnées de pluies diluviennes s’abattirent sur les sommets.la neige épaisse calfeutra les abris, pourrissant le bois tendre à défaut de le patiner .  Le soleil brûlant fendilla ce qui restait. Aujourd’hui ne subsiste que le socle avec son prénom gravé dans la pierre : Orso..  Le  granit ne se désagrège pas pour si peu, il  prend son temps pour effacer les blessures, tout son temps !

Quelques fleurs, emmêlées aux tiges noircies et séchées des asphodèles, accompagnées de pierres furent déposées en cairn.  Avec tous ces cadeaux offerts par des mains aimantes et des cœurs généreux,  un  autel se dressa, pour ne plus se  perdre, ne jamais oublier. Seul le vent  lorsqu'il s’éloigne  nous révèle le silence.

Et dans cette absence de fureur humaine se dessinèrent de nombreuses présences de plus en plus subtiles. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire