samedi 1 octobre 2016

Un extrait des archipels du silence






Le vol


   J'aime quand  dans le ciel les dessins s'effacent au fur et à mesure qu'ils s'inscrivent. Qui sait quelles arabesques ils formeraient, si chacun d'entre eux arborait la couleur qui lui convienne. Des tableaux éphémères fuseraient, et, se brûleraient à l’incandescence solaire. Des calligraphies scanderaient des idiomes inconnus, remplacés par d'autres plus élaborés les uns que les autres. Ce ne serait pas la confusion, mais la profusion des langues, dans un tracé aussi rigoureux qu'erratique. Le vol des oiseaux, des papillons, des insectes, des chauve-souris, répond à ce langage codifié, connu d'eux seuls, et, que nous commençons à décrypter. Le désordre apparent de leurs évolutions cache un ordre dont la rigueur n'offre rien de rigide, et, dont je ne retiendrai que la beauté.
   L'oiseau qui plane me fait aussi planer sans plan préconçu. Il s'agit d'un prélude à la lenteur, à laquelle s'accorde ma pensée vagabonde, dont la décélération provoque un ralentissement du temps, propice à la contemplation. Celui des horloges n'existe plus. Seuls les battements de mon cœur produisent un tic-tac à l'unisson et au diapason du moindre froissement d'aile.
   Le rapace en descendant, épluche une orange invisible, en un mouvement spiralé, laissant entrevoir une proie aperçue de lui seul. Hormis cette quête, au demeurant légitime, j'ose croire qu'il vole parfois pour le simple plaisir, dans un élan d'ultime liberté. Ne sommes-nous pas ainsi, quand nous n'avons pas à gagner notre vie ? Qui n'a rêvé de faire le grand Icare, sans se brûler les ailes ? Nous le faisons déjà avec le deltaplane et le parapente. Mais l'oiseau est sans contestation possible, le maître de l'air et du vent. Il peut voler d'un continent à l'autre, sans billet d'avion, avec la gratuité dont il dispose en permanence.
   Autre symbole de légèreté, le papillon est l'apothéose de la fleur. Imaginez une rose ou une orchidée volante ! Les ocelles de ses ailes offrent des pétales vibratiles, au psychédélisme multiforme, une exposition vivante à ciel ouvert, loin de l'odeur de renfermé des musées. Un défilé dont les robes se défroissent pour le plaisir des yeux, aux fragrances inconnues et subtiles, tel est ce ballet aérien incessant proche de l'éphémère. Loin du hiératisme de la mode, il ouvre toutes grandes les portes du nomadisme et de l'errance, dans l'incommensurable jardin des senteurs. Ailes poudrées, mandalas mouvants au gré des vents, moulins sans prières, multipliez vos erratiques vagabondages en feux d'artifice multicolores, tandis qu'ailleurs rampe la chenille, et, la chrysalide attend sa métamorphose dans son tombeau pharaonique. ! Peut-être espérons-nous aussi notre mutation, sans que notre apparence extérieure en soit changée pour autant ?
   La cétoine dorée ne vole pas avec la même grâce, mais sa pesanteur au milieu des pivoines, me l'ont fait prendre pour ces billes chinoises d'un bleu-vert lustré. Elle aussi évoque la transformation, et, même la synchronicité où les temps se télescopent. Bijou d'un jour, bijou de demain, je ne sais, mais ce capteur solaire est posé précieux comme un solitaire sur un magnifique coussin floral.
   Le merveilleux prend la couleur de ces élégantes libellules  fluorescentes, dont le sur- place évoque celui de l'hélicoptère, mais avec la grâce d'une danseuse faisant des pointes. On peut voler sans avancer, drôle de parade ou de paradoxe. Demoiselles sans tutu, elles figurent sur le lac des cygnes à la transparence trompeuse.

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