Le vol
J'aime quand dans le ciel les
dessins s'effacent au fur et à mesure qu'ils s'inscrivent. Qui sait quelles
arabesques ils formeraient, si chacun d'entre eux arborait la couleur qui lui
convienne. Des tableaux éphémères fuseraient, et, se brûleraient à
l’incandescence solaire. Des calligraphies scanderaient des idiomes inconnus,
remplacés par d'autres plus élaborés les uns que les autres. Ce ne serait pas
la confusion, mais la profusion des langues, dans un tracé aussi rigoureux
qu'erratique. Le vol des oiseaux, des papillons, des insectes, des
chauve-souris, répond à ce langage codifié, connu d'eux seuls, et, que nous
commençons à décrypter. Le désordre apparent de leurs évolutions cache un ordre
dont la rigueur n'offre rien de rigide, et, dont je ne retiendrai que la
beauté.
L'oiseau qui plane me fait aussi planer sans plan préconçu. Il s'agit
d'un prélude à la lenteur, à laquelle s'accorde ma pensée vagabonde, dont la
décélération provoque un ralentissement du temps, propice à la contemplation.
Celui des horloges n'existe plus. Seuls les battements de mon cœur produisent
un tic-tac à l'unisson et au diapason du moindre froissement d'aile.
Le rapace en descendant, épluche une orange invisible, en un mouvement
spiralé, laissant entrevoir une proie aperçue de lui seul. Hormis cette quête,
au demeurant légitime, j'ose croire qu'il vole parfois pour le simple plaisir,
dans un élan d'ultime liberté. Ne sommes-nous pas ainsi, quand nous n'avons pas
à gagner notre vie ? Qui n'a rêvé de faire le grand Icare, sans se brûler
les ailes ? Nous le faisons déjà avec le deltaplane et le parapente. Mais
l'oiseau est sans contestation possible, le maître de l'air et du vent. Il peut
voler d'un continent à l'autre, sans billet d'avion, avec la gratuité dont il
dispose en permanence.
Autre symbole de légèreté, le papillon est l'apothéose de la fleur.
Imaginez une rose ou une orchidée volante ! Les ocelles de ses ailes
offrent des pétales vibratiles, au psychédélisme multiforme, une exposition
vivante à ciel ouvert, loin de l'odeur de renfermé des musées. Un défilé dont
les robes se défroissent pour le plaisir des yeux, aux fragrances inconnues et
subtiles, tel est ce ballet aérien incessant proche de l'éphémère. Loin du
hiératisme de la mode, il ouvre toutes grandes les portes du nomadisme et de
l'errance, dans l'incommensurable jardin des senteurs. Ailes poudrées, mandalas
mouvants au gré des vents, moulins sans prières, multipliez vos erratiques
vagabondages en feux d'artifice multicolores, tandis qu'ailleurs rampe la
chenille, et, la chrysalide attend sa métamorphose dans son tombeau
pharaonique. ! Peut-être espérons-nous aussi notre mutation, sans que
notre apparence extérieure en soit changée pour autant ?
La cétoine dorée ne vole pas avec la même grâce, mais sa pesanteur au
milieu des pivoines, me l'ont fait prendre pour ces billes chinoises d'un
bleu-vert lustré. Elle aussi évoque la transformation, et, même la
synchronicité où les temps se télescopent. Bijou d'un jour, bijou de demain, je
ne sais, mais ce capteur solaire est posé précieux comme un solitaire sur un
magnifique coussin floral.
Le merveilleux prend la couleur de ces élégantes libellules fluorescentes, dont le sur- place évoque
celui de l'hélicoptère, mais avec la grâce d'une danseuse faisant des pointes.
On peut voler sans avancer, drôle de parade ou de paradoxe. Demoiselles sans
tutu, elles figurent sur le lac des cygnes à la transparence trompeuse.
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