"L'on perd bientôt sa route à chercher trop de voies."
Les écrivains américains.
TRILOGIE DE L'ASPHALTE : LONDON, KEROUAC, McCARTHY Cent ans sous les semelles.
http://www.evene.fr/livres
Thomas Flamerion pour Evene.fr - Juin 2008 - Le 09/06/2008
L'authentique
Premier des trois à tracer la route américaine, Jack London fait figure de précurseur, voire de modèle, pour plusieurs générations d'écrivains au cours du XXe siècle. Le souffle de liberté qu'il imprime à ses textes, les valeurs humaines qu'il défend et son socialisme convaincu font de l'homme et de son oeuvre des fondamentaux des lettres américaines. Père de la littérature des grands espaces, d'un naturalisme à l'américaine dont les héritiers d'aujourd'hui - Harrison, Proulx... -, portent vaillamment le flambeau, London a conquis un public jeune et idéaliste, en quête d'authenticité. Aussi le livre 'Into the Wild' ("Voyage au bout de la solitude") de Jon Krakauer, tiré de l'histoire vraie du jeune Christopher McCandless parti vers l'Alaska à travers les Etats-Unis, et adapté au cinéma par Sean Penn, s'inscrit dans la lignée de London. Il témoigne non seulement de la vitalité des idées fondamentales de l'écrivain, mais aussi de leur atemporalité.
Récit autobiographique le plus symbolique et le plus révélateur de sa prolifique carrière d'écrivain, 'La Route', publié en 1907, s'inspire de faits survenus quatorze ans plus tôt. Agé d'à peine 18 ans, London travaille comme chauffeur pour la centrale électrique d'Oakland en remplacement d'ouvriers licenciés. Lorsqu'il apprend que l'un d'eux s'est suicidé, il démissionne et se trouve confronté à la crise économique. Inconsciemment, il entre en errance, en littérature et en socialisme. Il rejoint l'"armée industrielle", un groupe de chômeurs qui, sous l'impulsion de Jacob Coxey et le commandement du "général" Kelly, marche sur Washington afin de pousser le gouvernement à subventionner son projet de construction de routes à travers tout le pays. Les soldats de cette armée embarquent illégalement dans des wagons de marchandises. De ces pérégrinations, de cette aventure hors du commun, London tient un journal. Publié en France en 2007 par les éditions Tallandier sous le titre de 'Carnet du Trimard', ces notes prises par l'auteur - premiers écrits authentifiés - seront à la source de 'La Route', un texte articulé autour de neuf articles dont 'Deux mille vagabonds' ou 'Des hobos qui passent dans la nuit'. Les hobos, ce sont ces trimardeurs, ces voyageurs sans billet de train qui "brûlent le dur". Sous les traits de Jack-le-Matelot, London y fait le récit d'aventures guidées par un contexte économique difficile et les inégalités sociales ou raciales qui le conduiront à travers les Etats-Unis jusqu'au Canada. En juin 1894, il est arrêté pour vagabondage à Niagara Falls et incarcéré durant un mois au pénitencier de Buffalo. De ses expériences qui forgèrent son caractère et son goût immodéré de la liberté, Jack London tire un texte à la fois naïf et puissant. Un récit initiatique agité de valeurs en devenir, véritable terreau pour les jeunesses contestataires à venir.
Le mythique
S'il est bien un jeune homme sur qui l'influence des idéaux de Jack London, nés de son errance sur la route, se sont fait sentir, c'est Jack Kerouac. La filiation semble évidente. Certes, les Etats-Unis ont changé entre la fin du XIXe siècle et les années 1950, mais la jeunesse et le souffle de liberté résonnent du même écho. Déjà auteur d''Avant la route' en 1950, Kerouac publie 'Sur la route' en 1957, au terme d'un long travail de réécriture. Il rédige le manuscrit initial d'un seul jet, en trois semaines, au rythme soutenu, et sans doute nécessaire, d'une "prose spontanée", dactylographié sur un rouleau à télétype ou sur des feuilles de papier collées bout à bout avec du scotch, selon les versions de la légende. Une chose est sûre, Kerouac ne voulait pas perdre l'inspiration qui le guidait et risquer de tourner la page, quitte à se doper à la benzédrine pour tenir la distance. "Du 2 avril au 22, j'ai écrit 125.000 mots d'un roman complet, une moyenne de 6.000 mots par jour, 12.000 le premier, 15.000 le dernier. (…) J'ai raconté toute la route à présent. Suis allé vite parce que la route va vite... écrit tout le truc sur un rouleau de papier de 36 mètres de long (...) Je l'ai fait passer dans la machine à écrire et en fait pas de paragraphes... Je l'ai déroulé sur le plancher et il ressemble à la route..." (1) écrit-il en 1951. Le résultat est frappant. Malgré le travail de mise en forme qui en fera un texte plus conventionnel (une version originelle du roman devenue mythique, sans passage à la ligne, est disponible) et certaines coupes imputables à l'éditeur (des scènes licencieuses, surtout des rapports homosexuels), le roman de Kerouac est un immense succès qui ne se démentira jamais. Il s'inscrit comme l'emblème du mouvement beat, initié par l'auteur, aux côtés du 'Howl' d'Allen Ginsberg ou du 'Festin nu' de Burroughs.
Inspiré de sa rencontre en 1946 avec Neal Cassady et largement autobiographique, à l'image de toute son oeuvre, 'Sur la route' de Kerouac retrace les errances à travers les Etats-Unis de deux auto-stoppeurs, Dean Moriarty, inspiré par Cassady, et Sal Paradise, le narrateur, double de l'auteur. Au gré de rencontres, d'amitiés et d'amours, dans des villes de passage, à bord de trains de marchandises (comme chez London), les personnages hauts en couleur du roman, Moriarty en tête, rêvent de liberté, boivent et se droguent, aiment dans tous les sens. Récit picaresque qui sacralise la fraternité et l'anticonformisme, 'Sur la route' fait du vagabondage, de cette marginalité revendiquée, un art de vie à l'heure où les guerres se multiplient et ravagent le monde. Et si le héros sombre et torturé finit sa course en clochard céleste, c'est que les routes de la liberté sont pavées d'embûches. Porté par un phrasé rythmique, un tempo jazz qui lui confère une musique entêtante, le roman de Jack Kerouac devient un véritable mythe, un plaidoyer libertaire porté en bannière par des générations. Source d'inspiration indirecte de mouvements communautaires tels que les beatniks, les hippies ou les punks, il suscite de nombreuses vocations littéraires, chez Russell Banks notamment. "On était tous aux anges, on savait tous qu'on laissait derrière nous le désordre et l'absurdité et qu'on remplissait notre noble et unique fonction dans l'espace et dans le temps, j'entends le mouvement", écrit Kerouac. Et la fuite sur les routes, pour ne pas regarder venir le chaos...
Le métaphysique
Radicalement différent de ses prédécesseurs dans son approche de la notion de route, Cormac McCarthy signe avec 'La Route' un roman d'anticipation et une profonde réflexion sur la volonté de survie presque animale et obscène, sur le besoin d'être au monde à tout prix. Quand London traçait sa route vers l'Est, que Kerouac, alias Sal Paradise, avançait vers l'Ouest, les personnages de McCarthy tentent de gagner le Sud. Et là où la fraternité et la camaraderie faisaient office de famille, c'est la paternité qu'interroge l'écrivain dans ce récit sombre et puissant de l'errance d'un père et de son fils, récompensé du prestigieux prix Pulitzer. Au foisonnement des rencontres et des expériences, il préfère un décor désincarné, où la raison et la morale telles qu'on les connaît (pense-t-on) ont perdu droit de cité. C'est pourtant bien d'initiation qu'il s'agit dans cette 'Route'. Celle d'un gosse dans la désolation d'un monde aveugle, frappé d'un obscur cataclysme, qui veut saisir dans l'image de son père l'espoir ou la vérité qui s'est effondrée. Mais sur cette route sans destination, sur les voies de la perdition, dans un après insensé, l'homme et l'enfant poussent un caddie empli de vestiges qui n'ont plus cours.
McCarthy s'interroge. A qui léguer quoi ? Son roman précédent s'intitulait 'Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme'. Il dédie celui-ci à son fils John à qui il laisse un monde aux portes du chaos, trop préoccupé de sa propre survie pour tout simplement vivre. Et finalement c'est bien là que réside le grand changement, la grande révolution imposée par McCarthy à l'idée de "prendre la route". Il n'y a pas d'ailleurs, semble-t-il fredonner. Et Dieu est bien mort, au même titre que l'humanité, défaite. A l'avenir nourri des grâces de l'imagination a succédé un présent incertain, sans destin, peuplé de cannibales. "Sur cette route il n'y a pas d'homme du Verbe. Ils sont partis et m'ont laissé seul. Ils ont emporté le monde avec eux. Question : quelle différence y a-t-il entre ne sera jamais et n'a jamais été ?" Il est bien loin le temps de la liberté et de la fraternité comme idéaux. Lui a succédé la désolation et l'individualisme. Triste constat.
Si toutes les routes empruntées par ces grands écrivains, libres-penseurs, ont pour point commun de ne pas avoir de but, la symbolique s'est écartée de sa valeur originale au cours du siècle écoulé. Pourtant l'errance a toujours les faveurs de la littérature. La liberté également, même regrettée ou étouffée par la globalisation. "Il ramassa un livre et feuilleta les lourdes pages gonflées d'humidité. Il n'aurait pas cru que la valeur de la moindre petite chose pût dépendre d'un monde à venir", écrit McCarthy. Gageons qu'à l'heure du transculturalisme et des flux identitaires, le vagabondage persiste à imprimer ses pas sur les bonnes feuilles américaines.
Les plus belles histoires commencent toujours par des naufrages
Biographie Jack London
S'il a, tout au long de sa carrière, critiqué l'idée de "rêve américain", Jack London est un exemple de réussite improbable. Issu d'un milieu misérable et marginal, il parvient au succès après des années de pauvreté et de vagabondage, grâce à son talent de conteur. Ses oeuvres, tel 'Croc Blanc' et 'L'Appel de la forêt', sont souvent des récits d'aventure ou de voyage où la nature représente un idéal de pureté face à l'injustice de la société. London a aussi été un militant socialiste très actif et nombre de ses romans, comme 'Le Peuple de l'abîme', sont de féroces critiques sociales. Mais, toujours en contradiction avec lui-même, Jack london tombe dans les excès que son succès lui permet et il meurt à quarante ans d'une overdose de médicaments. Les éditions Tallandier publie en 2007 le ‘Carnet du Trimard’, base de l’Oeuvre et journal de route de l’écrivain jeune, qui annonce son écriture “sur le vif”.Le vagabond des étoiles
Dans la prison d'État de Californie, à San Quentin, Darrell Standing s'apprête à être pendu. Il y a huit ans, alors professeur d'agronomie à l'école d'agriculture de Berkeley, il a été condamné à perpétuité pour crime passionnel. Sur les huit années d'incarcération, il a passé cinq ans dans les ténèbres d'un cachot, surnommé la 'mort vivante'. Victime d'une dénonciation calomnieuse, il est maintenant condamné à mort. En attendant l'heure fatale, il s'évade au gré de son imagination dans le passé. Il se voit ainsi au coeur du Paris de Louis XIII sous les traits du comte Guillaume de Sainte -Maure ; comme enfant rescapé d'une caravane de pionniers massacrés par les Indiens ; en marin anglais marié à une princesse coréenne du XVIe siècle ; comme matelot viking bientôt reconverti en centurion de Ponce Pilate au moment du procès de Jésus ; en homme des cavernes à l'aube de l'humanité. Passant du réalisme au fantastique, de l'univers monotone et exigu d'une geôle aux rebondissements émaillés de prodiges, 'Le Vagabond des étoiles 'est à la fois un procès contre l'univers carcéral et un hommage à l'imaginaire. Considéré comme son dernier acte de militant socialiste, comme son testament littéraire et philosophique (Jack London meurt un an après la parution de son livre), c'est aussi l'un des chefs-d' oeuvre de l'auteur.
Biographie Sylvain Tesson
Il découvre l’aventure lors d’une randonnée à VTT en Islande puis d’une expédition spéléologique à Bornéo en 1991. Depuis, il accomplit un tour du monde à vélo avec Alexandre Poussin alors qu’ils terminaient leurs études de géographie. En 1997, ensemble, ils traversent à pied l’Himalaya, du Bhoutan au Tadjikistan, en un an. Depuis, Sylvain parcourt l’Asie centrale à cheval, d’Almaty à la mer d’Aral, et a participé à une tentative d’inventaire du patrimoine archéologique afghan à l’automne 2001. Parti de Yakoutie en juin 2003, Sylvain a entrepris de relier à pied à cheval et à vélo le golfe du Bengale via la Mongolie, le Xinjiang, le Tibet et l’Himalaya, sur les traces du Polonais Slavomir Rawicz qui, en 1941, s’était évadé d’un camp du goulag soviétique. Un temps coprésentateur de l’émission 'Montagnes' sur France 3, Sylvain a donné des centaines de conférences sur l’Himalaya et l’Asie centrale, et est l’auteur d’articles dans 'Paris-Match', 'Trek Magazine', 'Cheval Magazine', 'Animan' et 'Le Figaro'. Il publie également plusieurs livres de voyages dont ‘Petit traité sur l’immensité du monde’, ‘L’Axe du Loup’ et ‘Aphorismes sous la lune et autres pensées sauvages’ en 2008. Outre ses voyages, Sylvain pratique l’escalade, y compris sur les monuments de Paris et d’autres villes d’Europe."Par un principe d'entropie appliquée aux groupes humains, au fur et à mesure que l’énergie du monde s'accumule dans le ciel, vibre dans les cités, s'amasse sur les routes, l'énergie diminue dans les êtres.Les villes clignotantes , rugissantes de circulation, vibrionnantes d'activités recrachent des enfants obèses, assommés de désirs, enfiévrés d'envies et dont le ressort énergétique sidéré de graisse s'éteint au fond d'eux comme la flamme d'une lampe tempête gorgée d'huile "
Extrait du livre "Éloge de l’énergie vagabonde" de Sylvain Tesson...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire