mardi 7 mai 2013

Les nouvelles de Rosa et de Brigitte participantes aux ateliers d'écriture



http://www.franceculture.fr/emission-concordance-des-temps-aupres-de-nos-arbres-vivions-nous-heureux-2013-04-27



                                                           Photo:Roselyne Cusset janvier 2013



ROSA      SYMBOLIQUE AUTOUR DE L ARBRE

Je me souviens de ce grand pin, pin parasol, démesuré et imposant, celui de notre enfance, compagnon enraciné dans quelque terre de Provence. La conformité de sa ramure nous assurait une totale protection. Refuge souverain, lieu privilège, séjour de nos amours enfantines, lieu sacré et imprenable à la faveur d’une misérable corde à nœuds escamotable, il nous abritait du regard des «grands ».
Il était notre Eldorado, notre Jardin des délices, l’autre, où nous inventions, mes frères et moi, mille scénarios : tantôt indiens, malandrins, tantôt Alice, Robinson ou fée Clochette, nous échafaudions toutes sortes de plans, d’intrigues qui nourrissaient notre fringale d’enfants joueurs. Nos visions, nos rêves y prenaient vie.
Nous vivions sur quelqu’autre planète, en héros insensés, aventuriers audacieux et inspirés au beau milieu de son inextricable ramure. Complice de nos divagations, il nous rendait invincibles ; Il nous haussait au rang de demi-dieux.
C’était entre ses branches, comme un nid d’aigle, une tour de guet, un repaire sûr, une enclave dissuasive d’où nous chassions les indésirables.
Bien souvent, l’attitude des ainés, parents, oncles ou grand-tante, nous confortait dans notre idée de mésalliance, quand, indélicats et toujours insistants, ils nous dérangeaient dans nos rituels, égratignant nos plans, bousculant nos codes par leurs semonces répétées :
« assez joué, il est temps de rentrer…. » Résolus, nous les éconduisions sur le champ.
Parfois, par simple humanité, un enfant de passage pouvait prétendre à quelque indulgence… là, nous déroulions la corde à nœuds qui le faisait nôtre un moment.
Impitoyables et exigeants, nous nous fabriquions un monde à notre mesure, sans accommodement possible : aucun « grand » ne pouvait, sous aucun prétexte, prétendre s’allier à notre monde de l’arbre. Nous étions maîtres d’un microcosme.
Heureux instants dont je me souviens avec délice. Du temps a passé…. L’odeur de ce pin me hante encore.
Lorsque libre et sans défense, je m’aventure sur cette terre mienne, que je redécouvre et arbre réconfort, tourmenté par quelqu’autre tribu nouvelle avide de merveilleux, lorsque je veux à tout prix renouer avec le fil de mon enfance, alors en passant, je les toise en égale, ces « affreux » et prononce : « Je suis Alice….. »
Si la corde se déroule, mon âme d’enfant ressurgit, je suis des leurs, c’est immanquable.






                                                          Photo Roselyne Cusset Avril 2013

     
                                                         L'arbre de Brigitte Martinez.


Il est là, il flotte sur les eaux de ce lac lozérien. Je l’observe, on pourrait croire qu’il va se noyer, je m’approche, je voudrais le toucher, il est là si près et si loin à la fois. Comment pourrais-je faire pour le tirer de là ? Un regard autour de moi, personne pour m’aider, il y a bien des pêcheurs mais ils sont absorbés par leur quête de truite.
Tant pis pour mes chaussures, je vais être toute mouillée, mais je me dois de sauver ce morceau de  tronc de châtaignier qui ne peut finir sa vie ainsi balloté, malmené par les ondulations du lac.
Je pénètre dans l’eau qui m’arrive aux genoux, le tire et le hisse sur la berge avec grande difficulté. Il est lourd, je m’épuise, m’y reprends en plusieurs fois. Il est sauvé, je suis récompensée de cet effort car me voilà entrain de caresser ce tronc lisse, sans écorce, vidé de sa sève, de sa vitalité. Il n’est pas entier, seule une partie longue, épaisse, boursouflée m’offre des formes qui me donnent à penser à des personnages fantastiques. Là sur cette rive, nous nous sommes adoptés.
Avec l’aide de quelques pêcheurs qui me voyant se sont détourné de leurs truites, nous l’avons transporté et hissé dans mon véhicule. Mon nouvel ami après une heure de voyage est arrivé dans mon « chez moi » qui est devenu son « chez lui ».
A l’abri des intempéries, il est resté sous mon « calabert ». Depuis des semaines, des mois il sèche. Peu à peu, il se rétracte, les formes fantastiques apparaissent de plus en plus intrigantes. Les fissures le long de son tronc se creusent en profondeur.
Ce matin, je prends mon petit-déjeuner à ses côtés quand, surprise, un son métallique d’un objet qui tombe me parvient. Il semble provenir de mon tronc. Un regard d’un côté, puis de l’autre, devant, derrière et soudain j’aperçois une tige fine en fer rongée par le temps. Ma surprise est totale, je prends en main cette pièce métallique qui s’avère être un vieux cylindre tout dégradé. Tiens, il est bouché aux deux extrémités. Je l’agite pour déceler si ce tube contient quelque chose et j’entends un léger bruissement. En le détaillant de plus près, je devine une entaille. Pensant qu’il s’agit peut-être de l’ouverture, je tire des deux côtés, mais la rouille ne m’aide pas. L’huile d’olive de ma cuisine va m’être utile, je la repends délicatement le long de la fente avec une lame fine de couteau. J’essaie à nouveau et réussis à séparer les deux parties de ce qui doit être un vieil outil rouillé.
Comme soupçonné à l’écoute du bruissement, il y a quelque chose qui semble être du papier. Je laisse glisser ce rouleau de papier, de nombreuses petites graines sont également sorties. Le tout se retrouve à l’air libre sur ma table, je découvre tout ceci avec étonnement. Seul mon regard se pose sur ma découverte, je n’ose le toucher, j’ai peur que le temps ait fragilisé ce papier et qu’il tombe en miettes, et ces graines……………
Qu’y a-t-il d’inscrit sur ce papier ?   
A qui est-il destiné ?
Que sont ces petites graines qui se sont échappées ?
Ma curiosité n’y tient plus. Avec délicatesse je déroule ce rouleau de papier et je peux lire un message écrit en occitan. Certes le papier est jauni, l’écriture hésitante mais je comprends nettement cette missive. Alors là, pour une surprise, cela en est une.  Ce message est d’un autre temps.
Heureusement, j’ai passé mes vacances d’enfant dans un hameau en Ardèche où tous les habitants ne parlaient qu’en « patois », ils parlaient français pour les « choses importantes » disaient-ils.
Je déchiffre cette lettre qui était destinée à une paysanne de la vallée. Abel en est l’auteur. Il écrit son amour pour Zoé qui est placée dans une ferme près d’Altier. Oh, ce sont des mots emplis de réserve, de timidité. Il n’est pas fait état d’acte voluptueux répréhensible par la morale d’alors, mais on devine au travers des non-dits que le temps des moissons a été une période heureuse pour les deux tourtereaux……..   Les minuscules graines qui accompagnent ce message, il les offre à Zoé pour lui permettre d’améliorer son ordinaire, d’avoir un petit revenu en plus.  Ce sont des graines de vers à soie….
Je reste pensive devant ce courrier venu de temps lointains dans un tronc par les eaux du lac.
Des graines de vers à soie ????????  Le mystère est entier. Abel offre ces graines quand d’aucun offrirait un billet, un bijou, un parfum. Comment Zoé va-t-elle avoir un revenu à partir de ces graines ?
J’ai hâte d’élucider ce mystère. Ici, en Cévennes, la soie, on en entend parler, elle n’est pas une inconnue. Et me voilà partie dans le dictionnaire, dans des revues cévenoles à la recherche des origines de la soie. Au travers de mes lectures, je pars en voyage aux confins de la Chine à la découverte du savoir de l’empire du milieu qui voulait garder ses secrets. Et voilà que dans un article de la revue « Terre d’ici », il est expliqué qu’un pèlerin italien a ramené des graines de vers à soie cachées dans sa canne creusée. « Tiens, Abel connaissait-il cette histoire ou a-t-il mis son ingéniosité au service des beaux yeux de Zoé ?» et les explications continuent sur les routes de la soie, l’arrivée en Europe des ces tissus, le commerce et l’enrichissement des importateurs vénitiens. S’en suivent les techniques qui d’une si petite graine permettent de créer une si douce et agréable étoffe.
Dans mon quartier, vit une « mamée » très âgée, largement nonagénaire avec une grande  vivacité d’esprit. J’ai décidé de lui rendre visite, je veux en savoir plus.
Quel plaisir, quelle après-midi incroyable, quel bonheur d’écouter la vieille Albine me raconter sa  vie de labeur dans les fermes cévenoles. Bien sûr, elle savait tout de ces petites graines, bien sûr elle avait eu à faire éclore les vers. Et c’est ainsi que j’apprends que les petites graines étaient enfermées dans des petits sachets en tissu, que les paysannes les plaçaient sous leurs jupons ou entre leurs seins bien au chaud contre leur peau pendant deux semaines jusqu’à ce que les vers arrivent à maturité et éclosent, et intarissable Albine m’explique toutes les étapes de la vie du ver. La récolte des feuilles de mûriers qui sont dévorées voracement et bruyamment par ces bestioles jusqu’à satiété, la montée dans les branches de bruyère installées dans le grenier, la formation du cocon et puis la vente des cocons aux filatures. Et à la filature, le cocon qu’on ébouillante, le fil du cocon saisi par les fileuses dans l’eau bouillante puis accroché aux aspes pour être déroulé et ensuite un autre cocon et puis le moulinage, etc, etc pour arriver en fin de parcours dans les mains des canuts de Lyon.  C’est de la vente des cocons aux filateurs que Zoé va tirer le petit revenu que lui offre Abel.
L’amour à peine dévoilé d’Abel pour Zoé me fait plonger dans le monde de la soie.  Si la soie venue de Chine a ses routes au travers des steppes d’Asie centrale, quelle route à emprunter ce tube maintenant rouillé, comment s’est-il retrouvé coincé dans les fissures de mon tronc, comment s’est-il retrouvé dans ce lac ?
Je crains que mes questions restent sans réponse, je repense à Abel, comment s’est-il procuré ces graines, est-ce lui qui devait les porter à Zoé, a-t-il confié son trésor aux bons soins d’un messager ? Pourquoi ne sont-elles pas arrivées à bon port ? Zoé attendait-elle un courrier d’Abel, leur amour était-il secret ou par dépit d’un rendez-vous manqué il a jeté son présent sur le chemin du retour ?
Aujourd’hui, presque un siècle s’est écoulé, ces petites graines me sont confiées par le hasard, que vais-je en faire ? Je confectionne un sachet en tissu de coton pour mes protégées et vais les porter contre moi au chaud durant les deux semaines, si par bonheur j’arrive à faire naître mes petits bombyx, l’espoir d’Abel n’aura pas été vain,  ils perpétueront la mémoire d’Abel et Zoé dans ce nouveau siècle.
Mes pensées sont absorbées par la découverte de cette pièce de métal rouillée et décidée à connaître la vérité je m’en retourne vers les berges du lac de Villefort. D’autres troncs flottent, je voudrais tous les adopter, mais je pense à Mon tronc, celui qui j’en suis sûre voulait que son secret d’antan soit révélé. Je retrouve mes pêcheurs toujours prompts à crocheter une belle truite et leur raconte l’histoire du message d’Abel….
Un peu en retrait, un pêcheur m’écoute avec intérêt car son arrière grand-père se prénommait Abel. Il me raconte que son aïeul habitait le hameau du Castanet en amont du lac sur la route du Bleymard.. Régulièrement, il se rendait à Villefort en charrette et la route passait là dessous me dit-il en me montrant le lac.  Je ne comprenais pas ce « là-dessous ».
. «Et oui, là dessous avant qu’ils construisent ce barrage, là au fond, il y avait un village qui a été englouti sous les eaux et aussi les forêts et la route pour Villefort passait par là-dessous ».
Je me tais et laisse vagabonder mes pensées, la route, le village, la forêt de châtaigniers, la charrette sur la route, le message d’Abel. Et si ce billet doux confié à la malle-poste avait été perdu dans la forêt…… là-dessous…………………..
J’imagine une embardée du cheval, la charrette renversée, un sac mal fermé et dans le choc le trésor d’Abel qui s’envole pour atterrir dans l’herbe sur le bas-côté du chemin. Cinquante ans après le barrage qui se construit, les engins, les forêts déchirées, les arbres arrachés, la terre bouleversée et toujours le trésor d’Abel qui, bousculé, assiste impuissant à tous ces bouleversements, et puis la mise en eau du barrage, de l’eau, de l’eau, que d’eau……………. Le vent, l’orage, les eaux du lac qui se déchaînent et les flots qui soulèvent ce malheureux  tube de ferraille qui s’est retrouvé coincé dans la fissure d’un tronc de châtaignier, et là blotti dans sa gangue protectrice il est attaqué par la rouille mais il résiste il doit accomplir sa mission. Les années ont passé, le châtaignier noyé, déraciné est remonté à la surface pour venir à ma rencontre et me confier son secret.
Suspendu à mon cou, je porte mon sachet de graines en coton bien calé entre mes seins et attends avec impatience encore quelques jours. Régulièrement, j’ouvre pour regarder l’avancée de ma couvaison, pour le moment rien, mes graines vont-elles revenir à la vie ?
Ce courrier n’aura pas atteint sa destinée, y a-t-il eu une suite à cet amour du temps des moissons, ce message aura été perdu ou aura été jeté après un amour déçu. Quelles auront été les destinées d’Abel et Zoé ?
Mais quelle sotte, mais enfin, mais pourquoi n’ai-je pas demander au pêcheur le prénom de son arrière-grand-mère.  Il faut absolument que je retrouve mon pêcheur du lac…….











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