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De ma vie je n'ai jamais vu
Plus beau visage que sa voix (…)
Angèle Vannier
Poèmes choisis 1947-1978, Rougerie, 1990
Edito de Denis Lavant, comédien et parrain de la 15e édition
Les Voix des Poètes pourquoi ?
Parce qu'elles m'ont depuis toujours été
présages et acquiescement sensible à ce que toute mon âme pressentait.
Parce que les poèmes ce sont d'abord des Voix.
Parce que la poésie qui prétend faire vibrer
quelque fibre intelligente et sensitive aux tréfonds de l'humain doit
prendre Voix, doit s'échapper du profond d'entrailles défuntes ou
prendre corps dans la tripaille vivace et belle pour subjuguer d'ondes
rudoyantes ou suavement caresser l'ouïe, l'oreille au pavillon charnu,
ou bien sourdre de ce conduit émotif aux grands-fonds du dedans.
Parce que la poésie avant qu'on la lie, qu'on la
relie et qu'on la lise, éclate à l'extérieur de nous dans tous les
signes par tous les sens, et par ces phrases ébruitées dans la nuit de
la rue, ou celles qui fusent aux écheveaux du langage, démêlées tout au
long du jour dans la vie humaine qui circule.
Pour moi, avant toute tentative de lecture,
la poésie commence par sa mise en voix, débute par un timbre, une entité
sonore. Un organe généreux qui s'empare de la personnalité du poète
déposée sur la page et la fait voler dans l'espace ouvert affranchie des
pesanteurs.
Ainsi, Rimbaud, en premier lieu, me fut rendu
accessible par la voix grenue au lyrisme concret de Serge Reggiani,
préfaçant d'un Dormeur du Val très coloré, la chanson du Déserteur de
Boris Vian (Ah ! Les vieux vinyles et leur incomparable grain
d'existence dans ces sons reproduits par le noble frottement d'une cause
mécanique !).
Il y en eut encore quelques unes, de ces voix
d'outre-tombe qui faisaient vibrer en moi l'écoute incertaine jusqu'à
gonfler en un seul souffle la voilure du poème.
Je pense à Gérard Philipe au timbre si
singulier, à Vilar également, voix fières et émotives entrecoupées de la
musique du TNP.
Je pense encore à Jean-Marc Tennberg dont la
voix dévouée à la poésie parlée perdure aux sillons d'anciens vinyles,
quand son corps d'Icare étonné a depuis longtemps chu, trajectoire
perdue au survol de la Combe de Lourmarin.
Survivent par bribes dans ma mémoire auditive
Jules Laforgue, Rimbaud, avec Le bal des pendus, cette fois-là, et même
de Cocteau, l'art du mensonge.
Et les voix se font écho à elles-mêmes qui
m'entraînent dans ce tissu sonore à retrouver les accents presque
métalliques du cinéaste de La Belle et la Bête scandant la prose
rugueuse de Ramuz, conduisant la fable musicale de l'histoire du soldat
avec l'époustouflant diable de Peter Ustinov, orchestrée de russes
dissonances par le grand Stravinsky.
Toujours et encore de la poésie, des sons, des
voix, du sens sonore, plongée en oreille écarquillée avide
d'envoûtement.
Et puis les poètes qui se disent eux-mêmes,
font voler de leur propre souffle les mots de leur bouche, enfin les
poètes qui font entendre d'autres poètes, ceux qui transmettent la
tradition sonore du temps où la poésie ne s'écrivait pas, mais se
décrivait littéralement à haute et intelligible voix, sculpture mouvante
et éphémère que l'on devait saisir dans l'immédiateté de sa
composition.
La poésie est avant tout sonore et s'honore
dans ce qu'elle nous dit, dans ce sens qu'elle-même se réfléchit dans
l'ensemencement de sa propre parole.
Si le souvenir d'un homme perdure tant que sa
voix demeure, nous autres, comédiens, nous sommes pour ainsi dire
fossoyeurs à l'envers. Nous tentons de poursuivre de notre voix
l'existence sonore d'un être qui nous était cher même si nous ne l'avons
pas connu de notre vivant.
Denis Lavant
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