dimanche 10 février 2013

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 De ma vie je n'ai jamais vu
Plus beau visage que sa voix (…)
Angèle Vannier
Poèmes choisis 1947-1978, Rougerie, 1990



Edito de Denis Lavant, comédien et parrain de la 15e édition
Les Voix des Poètes pourquoi ?
Parce qu'elles m'ont depuis toujours été présages et acquiescement sensible à ce que toute mon âme pressentait.
Parce que les poèmes ce sont d'abord des Voix.
Parce que la poésie qui prétend faire vibrer quelque fibre intelligente et sensitive aux tréfonds de l'humain doit prendre Voix, doit s'échapper du profond d'entrailles défuntes ou prendre corps dans la tripaille vivace et belle pour subjuguer d'ondes rudoyantes ou suavement caresser l'ouïe, l'oreille au pavillon charnu, ou bien sourdre de ce conduit émotif aux grands-fonds du dedans.
Parce que la poésie avant qu'on la lie, qu'on la relie et qu'on la lise, éclate à l'extérieur de nous dans tous les signes par tous les sens, et par ces phrases ébruitées dans la nuit de la rue, ou celles qui fusent aux écheveaux du langage, démêlées tout au long du jour dans la vie humaine qui circule.

Pour moi, avant toute tentative de lecture, la poésie commence par sa mise en voix, débute par un timbre, une entité sonore. Un organe généreux qui s'empare de la personnalité du poète déposée sur la page et la fait voler dans l'espace ouvert affranchie des pesanteurs.
Ainsi, Rimbaud, en premier lieu, me fut rendu accessible par la voix grenue au lyrisme concret de Serge Reggiani, préfaçant d'un Dormeur du Val très coloré, la chanson du Déserteur de Boris Vian (Ah ! Les vieux vinyles et leur incomparable grain d'existence dans ces sons reproduits par le noble frottement d'une cause mécanique !).
Il y en eut encore quelques unes, de ces voix d'outre-tombe qui faisaient vibrer en moi l'écoute incertaine jusqu'à gonfler en un seul souffle la voilure du poème.
Je pense à Gérard Philipe au timbre si singulier, à Vilar également, voix fières et émotives entrecoupées de la musique du TNP.
Je pense encore à Jean-Marc Tennberg dont la voix dévouée à la poésie parlée perdure aux sillons d'anciens vinyles, quand son corps d'Icare étonné a depuis longtemps chu, trajectoire perdue au survol de la Combe de Lourmarin.
Survivent par bribes dans ma mémoire auditive Jules Laforgue, Rimbaud, avec Le bal des pendus, cette fois-là, et même de Cocteau, l'art du mensonge.
Et les voix se font écho à elles-mêmes qui m'entraînent dans ce tissu sonore à retrouver les accents presque métalliques du cinéaste de La Belle et la Bête scandant la prose rugueuse de Ramuz, conduisant la fable musicale de l'histoire du soldat avec l'époustouflant diable de Peter Ustinov, orchestrée de russes dissonances par le grand Stravinsky.
Toujours et encore de la poésie, des sons, des voix, du sens sonore, plongée en oreille écarquillée avide d'envoûtement.

Et puis les poètes qui se disent eux-mêmes, font voler de leur propre souffle les mots de leur bouche, enfin les poètes qui font entendre d'autres poètes, ceux qui transmettent la tradition sonore du temps où la poésie ne s'écrivait pas, mais se décrivait littéralement à haute et intelligible voix, sculpture mouvante et éphémère que l'on devait saisir dans l'immédiateté de sa composition.
La poésie est avant tout sonore et s'honore dans ce qu'elle nous dit, dans ce sens qu'elle-même se réfléchit dans l'ensemencement de sa propre parole.
Si le souvenir d'un homme perdure tant que sa voix demeure, nous autres, comédiens, nous sommes pour ainsi dire fossoyeurs à l'envers. Nous tentons de poursuivre de notre voix l'existence sonore d'un être qui nous était cher même si nous ne l'avons pas connu de notre vivant.
Denis Lavant

                                                    

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