Autour du Haïku...
Sei Shônagon - Notes de chevet
18. Choses qui font battre le coeur
Des moineaux qui nourrissent leurs petits.
Se coucher seule dans une chambre délicieusement parfumée.
S'apercevoir que son miroir de Chine est un peu terni.
Une nuit où l'on attend quelqu'un. Tout à coup, on est surpris par le bruit de l'averse que le vent jette contre la maison.
19. Choses qui font naître un doux souvenir du passé
Les roses trémières desséchées.
Les objets qui servirent à la fête des poupées.
Un petit morceau d'étoffe violette ou couleur de vigne, qui vous rappelle la confection d'un costume, et que l'on découvre dans un livre où il est resté, pressé.
Un jour de pluie, où l'on s'ennuie, on retrouve les lettres d'un homme jadis aimé.
Un éventail chauve-souris de l'an passé.
Une nuit où la lune est claire.
26. Choses élégantes
Dans un bol de métal neuf, on a mis du sirop de liane avec de la glace pilée.
Un rosaire en cristal de roche.
De la neige tombée sur les fleurs des glycines et des pruniers.
...
28. Choses qui ne s'accordent pas.
Des roses trémières fichées dans des cheveux crépus.
Une mauvaise écriture sur du papier rouge.
La neige tombée sur la maison de pauvres gens. C'est encore plus pénible à voir quand la lumière de la lune y pénètre. Par un beau clair de lune, rencontrer une inélégante voiture découverte.
54. Choses que l'on entend parfois avec plus d'émotion qu'à l'ordinaire.
Le bruit des voitures, au matin, le premier jour de l'an. Le chant des oiseaux. A l'aurore, le bruit d'une toux, et, il va sans dire, le son des instruments.
56. Choses qui gagnent à être peintes
Un pin. La lande en automne. Un village dans la montagne. Un sentier dans la montagne. La grue. Le cerf. Un paysage d'hiver, quand le froid est extrême. Un paysage d'été, au plus fort de la chaleur.
57. Choses qui émeuvent profondément.
...
A la fin du neuvième mois ou au début du dixième, la musique des grillons qui vous parvient, si faible qu'on ne sait dire si on l'entend ou non.
Une poule étalée sur ses poussins, pour les protéger.
Tard en automne, les gouttes de rosée qui brillent comme des perles de toutes sortes sur les roseaux du jardin.
Le soir, quand le vent souffle dans les bambous, au bord de la rivière.
S'éveiller à l'aube, et aussi s’éveiller la nuit, c'est toujours émouvant.
Un village dans la montagne, sous la neige.
...
La lande en automne.
De très vieux bonzes qui font leurs pieux exercices.
Une chaumière délabrée où grimpe et s'accroche le houblon, avec un jardin où croissent à l'envie l'armoise et les herbes folles, lorsque la clarté de la lune les illumine sans laisser un coin sombre, et que le vent souffle doucement.
...
61. Choses sans valeur
Un grand bateau, à sec dans une baie, à marée basse.
Un grand arbre renversé par le vent et couché sur le sol, les racines en l'air.
Le dos d'un lutteur qui se retire après avoir été battu.
Le temps qu'une femme dont la chevelure est courte met à se peigner après avoir ôté ses faux cheveux.
82. Choses qui ne servent plus à rien mais qui rappellent le passé.
Une natte à fleurs, vieille, et dont les bords usés sont en lambeaux.
Un pin desséché, auquel s'accroche une glycine.
Dans le jardin d'une jolie maison, un incendie a brûlé les arbres. L'étang avait d'abord gardé son aspect primitif; mais il a été envahi par les lentilles d'eau, les herbes aquatiques.
...
Les Notes de chevet appartiennent au genre sôshi (écrits intimes). Sei Shônagon est dame d'honneur de la princesse Sadako dans les premières années du XIème siècle à la Cour impériale japonaise au moment de la plus grande splendeur de la civilisation de Heian. Elle note nuit après nuit ses émotions, ou plutôt ce qui dans la journée a été cause d'émotions. L'originalité est qu'elle les classe. On peut donc ainsi faire le lien entre une émotion, un sentiment et les images qui l'induisent. Un peu comme un saijiki émotionnel.
Sei Shônagon est, selon moi, une étape importante dans le parcours d'un haïkiste. C'est la formation du regard, une leçon sur la manière de voir le monde, les choses de tous les jours et de toucher leur lien avec nos émotions. Un haïku est objectif... Au premier niveau de lecture seulement. Il ne dit pas au lecteur ce qu'il faut comprendre. Il place simplement les éléments. La subjectivité, l'émotion passe par le choix des éléments, leur mise en rapport. Les haïku les plus forts, ceux dont la résonance est longue, intègrent toujours ce lien aux émotions, de manière discrète presque subliminale. C'est cela que nous apprend Sei.
Mais Sei, c'est aussi une occasion de découvrir la manière japonaise de sentir le monde, la nature partie indissociable de la vie affective et intime, l'occasion de se former à l'écoute des mille détails du monde et par là de se fondre en lui.
Sei Shônagon
Notes de chevet
traduction et commentaires par André Beaujard
Connaissance de l'Orient
Gallimard / Unesco
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire