samedi 3 mai 2014

L'énigme de l'Inconnue de la Seine

                                                  
                               L'eau la femme la mort





                                           
                                         Le mythe de l'Inconnue de la Seine, par Hélène Pinet


  Le masque de L'Inconnue de la Seine a acquis au fil des ans une dimension mythique et esthétique qui l'a transformé en objet de décoration et de fantasmes. Les quelques lignes laconiques qui résument son histoire pourraient sortir d'une rubrique de fait divers : un médecin légiste avait trouvé si beau et si énigmatique le visage d'une jeune fille repêchée dans la Seine qu'il avait demandé à un praticien d'en prendre l'empreinte ; rien n'empêchant le mouleur de la commercialiser, il la vendit dans sa boutique. C'est là que Rilke va la découvrir en 1902, lors de son premier séjour parisien : "Le Mouleur devant la boutique duquel je passe tous les jours a accroché deux masques devant sa porte. Le visage de la jeune femme noyée que l'on moula à la morgue, parce qu'il était beau et parce qu'il souriait, parce qu'il souriait de façon si trompeuse, comme s'il savait. " Seul visage anonyme vendu au milieu d'hommes célèbres et de reproductions d'œuvres d'art, "entre L'Enfant à l'épine et le Beethoven mort ", l'aspect irrationnel et mystérieux du masque a assuré son succès commercial. Il ornait, paraît-il, un grand nombre d'intérieurs bourgeois du début du siècle.
   
Du masque au mythe
La recherche d'une date plus précise nous a entraîné dans de longues pérégrinations littéraires plus que géographiques. Si l'on se fie uniquement à sa coiffure en bandeaux à la mode sous le Second Empire, on pourrait le dater des années 1860, toutefois, il est mentionné pour la première fois dans un roman anglais écrit en 1898.
L'auteur, Richard Le Gallienne, dont le masque ornait l'un des murs de son bureau, publie en 1900, L'Adorateur d'image, intéressant par l'intrigue et surtout par le rôle que joue le masque qui exerce son emprise sur l'esprit fragile d'un poète. Si l'ouvrage n'a pas un grand intérêt littéraire, il a le mérite de nous donner une date butoir de la fabrication du moulage, qui sans être définitive n'en est pas moins plausible. À la fin du XIXe siècle, la morgue, installée à la pointe de l'île de la Cité, derrière Notre-Dame, était l'un des spectacles les plus prisés des Parisiens mais aussi des étrangers : chaque jour livrait son lot de cadavres à identifier, et un public de tout âge - même les enfants étaient admis - venait détailler les corps étendus sur les dalles de pierre inclinées derrière une vitre. Chaque semaine, des suicidés, surtout des femmes, étaient retirés de la Seine. Dans son étude sur l'eau et les rêves, Bachelard a analysé l'interprétation poétique de ce fait de société : "L'image synthétique de l'eau, de la femme et de la mort ne peut pas se disperser, affirme-t-il, un mot des eaux, un seul, suffit pour désigner l'image profonde d'Ophélie. Les yeux clos et les lèvres qui ont "l'air de sourire et de souffrir" du Masque de la noyée n'auraient pu suffire à lui assurer le succès auprès d'un large public, et c'est par son histoire qui l'associe à Ophélie aussi bien qu'à Ondine, que ce simple objet de plâtre se trouve transformé en matériau de légende.
    On dit aussi qu'il était utilisé par les artistes au même titre que les études en plâtre qu'ils allaient acheter chez le mouleur et qui leur servaient encore à l'occasion. Pour séduisante qu'elle soit, cette hypothèse n'a pas résisté à une étude plus attentive. Ce visage, que l'on aurait peine à comparer aux têtes d'expression dont la copie était à la base de leur formation, semble avoir laissé indifférents les peintres et les sculpteurs. Le seul exemple que nous ayons trouvé, un modèle en déshabillé de dentelles posant dans un décor où seul le paravent, quelques pinceaux et Le Masque évoquent un atelier, reste peu convaincant . Et il est fort probable qu'Eugène Déplechin, qui a utilisé, vers 1900, le moulage pour représenter une figure de mère éplorée, l'a fait pour honorer au plus vite la commande du Monument à Alexandre Desrousseaux.
   
Ernst Benkard et les masques mortuaires
Il faut attendre 1926 pour que le récit du moulage soit publié dans un ouvrage de référence. En effet, dans son étude sur les masques mortuaires, Ernst Benkard fait l'historique de 123 masques, tous reproduits photographiquement. Il ne dit rien de plus que nous ne sachions déjà, mais le texte concernant "le moulage de l'Inconnue" a une tournure poétique qui détone par rapport au style purement informatif de l'ensemble, comme si l'auteur avait voulu donner un statut particulier à ce à masque surgi de nulle part. Le sujet reflète l'atmosphère délétère de l'entre-deux guerres et l'ouvrage connaît un succès considérable puisqu'on dénombre au moins dix-neuf éditions. Si le secret du sourire et de l'identité dérobée du masque avaient suffi à retenir l'attention d'un public populaire, pour la première fois, à notre connaissance, l'objet et son histoire sont un confondus sous le titre de L'Inconnue de la Seine. Cette appellation connaît un tel engouement que l'on est en droit de se demander si ce n'est pas elle, plus que le visage absorbé en lui-même, qui a séduit le milieu littéraire. Quoi qu'il en soit, à partir de cette date, elle devient le titre même de nombreux écrits.
   
"Ce n'est pas une femme, c'est l'absence"

L'Inconnue de la Seine s'est imposée au fur et à mesure de nos recherches comme un phénomène essentiellement littéraire et photographique où l'on "passe du secret de la noyée à celui de la vivante". La vie de cette femme sans passé et sans regard va être inventée, construite et enjolivée par nombre d'auteurs dont les publications se succèdent comme en cascade. Nouvelle, poème, pièce de théâtre, roman s'emparent du mythe et complètent le portrait de la noyée "en vertu de la loi inévitable qui veut qu'on ne peut imaginer que ce qui est absent". Nous allons découvrir son âge, son nom, son surnom, sa vie, ses déconvenues amoureuses, le lieu de sa mort et même sa vie après la mort. Ainsi, de publication en publication, la jeune fille acquiert une réalité purement fictive, au détriment du masque qui ne joue plus qu'un rôle secondaire. C'est donc à travers les livres que nous suivrons son histoire imaginaire et à partir des études critiques de ces mêmes textes que nous tenterons de reconstituer l'histoire du masque.

un visage. Une légende apparue il y a 150 ans.
Vers 1880, la morgue est installée sur l'Île de la Cité, à Paris. Elle est l'un des spectacles les plus courus par les Parisiens. Un public de tout âge y défile, enfants compris.

L'énigme...

Un jour on repêche une jeune femme dans le Canal de l'Ourq. L'adolescente subjugue tous les témoins par sa beauté et surtout par le sourire étrange, énigmatique, qui s'est figé sur ses lèvres au moment du trépas.
La belle endormie intrigue. On cherche à savoir qui elle est. Les journaux évoquent la jeune femme, mais personne ne vient la réclamer. On la surnomme rapidement "L'inconnue de la Seine".

Le succès commercial du moulage

On réalise un masque mortuaire de la belle endormie: un masque en plâtre, comme il s'en faisait beaucoup à l'époque.

Un culte fou se développe autour de l'objet. C'est un véritable succès commercial à la fin du 19ème siècle. On retrouve bientôt l'inconnue de la Seine dans les intérieurs bourgeois et les chambres de jeunes filles.

Le mythe, de Rilke à "Sauvez Anne"

En 1902, Rilke observe le masque à Paris. Jules Supervielle lui dédie ensuite un conte.
Les surréalistes eux, s'amourachent littéralement de l'inconnue.

Le lien du jour retrace la légende de la belle endormie.
L'énigme de l'Inconnue de la Seine

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